Quand j'étais petit , j'étais fasciné à l'idée qu'il puisse exister , aux confins de l'univers , des mondes comme les nôtres , avec des gens comme nous, mais faits d'antimatière .
Ne croyez pas qu'à cette époque là je lisais Einstein dans le texte. Non, pour tout dire , j'avais encore le plus grand mal avec les premières lettres de l'alphabet . Mais il y avait dans Météor une espèce de héros, grand pourfendeur d'extraterrestres, qui trucidait allègrement des tonnes de martiens hostiles, à l'aide d'un pistolet à antimatière . L'antimatière était un truc qui sortait du pistolet en un éclair fulgurant ponctué d'un Zass éloquent et pulvérisait le martien qui se trouvait à l'autre bout . Il disparaissait . Proprement . Sans même un nuage de fumée ou un rire démoniaque en arrière fond.
Antimatière ! Rien que le nom donnait matière à réflexion .
Pour ne pas négliger l'aspect pédagogique des publications pour la jeunesse, au détour d'un épisode, on nous expliquait posément, que la matière et l'antimatière se combinaient pour donner le néant et que les pistolets de notre héros ne supportaient cette contradiction que parce qu'il étaient faits d'anti- anti-matière (c'est à dire probablement de matière si l'on suit les conclusions de l'algèbre booléenne) .
Pas de cadavre à dessiner. Pour l'auteur de la BD c'était toujours ça de gagné par rapport à certains confrères dont les héros exécutaient leurs hautes oeuvres à l'aide d'instruments tout aussi efficaces mais infiniment plus désuets .
Après que papa eut confirmé son existence , l'antimatière devint un vrai problème .
S'il existait des antigalaxies et des antiplanètes exactement semblables aux nôtres, et des antiextraterrestres qui nous ressemblaient comme des frères , j'imaginais que par un principe de symétrie découlant de la simple logique il devait y avoir quelque part , sur une antiterre , un antimoimême qui pensait au même moment les mêmes choses que moi . Et s'il arrivait que les hasards de l'exploration spatiale fassent que nos routes se croisent , il ne fait aucun doute que ce serait à égale distance de la terre et de l'antiterre et que cette rencontre avec l'être qui me comprenait le mieux , se solderait, non pas par un raz de marée d'effusions réciproques, mais par un Zass et un antiZass réduisant à néant nos existences parallèles. (parallèles au sens de Lobatchevski) .
On peut même dire que cette éventualité devenait très probable dans la mesure où , si je formulais l'envie de me rendre quelque part , mon double la partagerait sans aucun doute .
Aussi, décidais - je (et mon double avec moi) de renoncer provisoirement à l'exploration spatiale .
La nature devait être rudement compliquée pour poser des problèmes qui reléguaient au rang de balivernes ces histoires de robinets fuyants et de croisements de trains qui égayaient nos livres d'arithmétique .
Maman disait toujours de moi : un rien l'occupe. Comment lui expliquer qu'il ne me fallait rien moins que la moitié de l'univers pour meubler mon esprit.
Hélas , très récemment , une théorie assassine, est venue priver des générations entières d'enfants d'un terrain de jeu formidable .
Il paraîtrait qu'à la création de l'univers, la matière aurait été majoritaire . Oh pas de beaucoup . Juste d'un milliardième de la masse totale. Mais cela aurait suffi pour que le reste de la matière et de l'antimatière s'annihilent mutuellement, en un Zass étourdissant, et que l'univers soit composé essentiellement de ce milliardième de matière excédentaire.
Remarquez que même réduit au milliardième, l'univers offre encore de belles ressources , de nombreux propulseurs à nos rêves et de nombreux leviers à notre curiosité .
Et puis, désormais , on peut donner l'accolade à des extraterrestres-descendant-de-leur- vaisseau-animés-des-meilleures-intentions, sans crainte de se retrouver à pétaouchnok , sur Betelgeuse-les-Gonesses ou Sirius-en-Barrois.
Mais peut-être faudrait-il commencer par donner l'accolade à nos voisins de planètes qui en ont bien besoin .
Ce serait un bon début pour explorer l'univers.